Voici l'histoire de Soran.
De gauche à droite: Soran, Brice et Charlotte (nos deux coachs bénévoles course à pied et vélo)
Soran Mohammadi est iranien, il a 40 ans; ses intérêts et passions sont multiples: il est architecte et était professeur d’Université en Iran; son autre atout, c’est l’athlétisme, puisqu’il entrainait plusieurs équipes à échelle nationale sur son temps libre. Il considère son histoire comme une tragédie teintée d’espoir et d’intégration, et c’est avec générosité qu’il nous la partage ce mois-ci.
Soran est un kurde d’Iran: le Kurdistan est un sujet politique hautement controversé puisqu’il ne s’agit pas d’un Etat souverain, et que son histoire est teinté de complexité et d’ombres. Le peuple kurde est pourtant l’un des plus grands peuples apatrides au monde, comptant plus de 30 millions d’habitants, vivants à cheval entre quatre frontières: celles de la Turquie, de la Syrie, de l’Irak et de l’Iran. La récente fusillade des trois kurdes à Paris, suivie de manifestations activistes kurdes à la mémoire de ses victimes ne sont qu’une infirme partie immergée de la controverse que suscite l’histoire de ce pays fissuré et de ses blessures historiques. Leur identité ethnique et leur langue est commune; ils sont en grande partie des musulmans sunnites.
“Alors qu'ils connaissent un essor certain et voient leur influence s'accroître dans la région, les Kurdes perdent leurs terres au profit de l'Empire ottoman qui s'empare de l'essentiel du territoire Kurde au 16e siècle. La défaite de cet empire au cours de la Première Guerre mondiale achève de priver les Kurdes d'un territoire souverain. Dans le traité de Sèvres conclu en 1920, dont le but premier est de dissoudre l'empire Ottoman, les Alliés prévoient de rendre le Kurdistan autonome mais le traité échoue et n'est jamais ratifié. Plus tard, les négociations reprennent entre la Turquie et les Alliés, le traité de Sèvres est alors remplacé par le traité de Lausanne qui ne fait aucune mention d'un Kurdistan autonome. Depuis, les Kurdes ont tenté à plusieurs reprises de reprendre le contrôle de leur propre état, en vain.”
Source: National Geographic
C’est dans ce contexte historique et politique complexe que Soran est forcé de quitter l’Iran en 2019, dans l’espoir de trouver un foyer stable où il pourra construire une vie sans peur de l’emprisonnement, ni méfiance des représailles à son égard. Soran est le dynamisme et la curiosité même: nous l’avons rencontré dès les débuts de Peaks4All en Octobre 2021; il a participé activement à la grande majorité de nos activités de randonnée, raquettes, course à pied, escalade et alpinisme: “je tiens à remercier Clémence et Laetitia (co-fondatrices de Peaks4All), qui font beaucoup d'efforts pour ce groupe, je vous en suis très reconnaissant. Parce que ces deux dames gentilles et compatissantes voulaient créer autant que possible des conditions pour les demandeurs d'asile afin que nous puissions nous amuser ensemble et nous intégrer aux gens, ce que ces deux proches ont bien fait jusqu'à présent. Je suis dans ce groupe depuis plus d'un an maintenant, et nous avions de bons plans ensemble et nous nous sommes fait de bons amis. Les efforts de Clémence et Laetitia doivent être appréciés et remerciés. Je ne sais pas comment les remercier pour leur aide pendant cette période. En ce moment, mon plus gros problème est de communiquer avec des Suisses ou quelqu'un avec qui je peux communiquer pendant la semaine pour améliorer mon français et m'amuser quelques heures par semaine. C'est mon plus gros problème et peut-être la plupart des demandeurs d'asile. Nous sommes timides pour communiquer avec les autres.”
Soran détient un certificat d'entraîneur d'athlétisme de niveau un de la Fédération asiatique d'athlétisme et a été l'entraîneur de l'équipe nationale junior d'athlétisme d'Iran en 2018. Athlète et coureur en Iran, il compte aujourd’hui à son actif presque 40 médailles dans des compétitions internationales. Il a été responsable et entraîneur d'athlétisme pendant 7 ans et il travaille toujours dans la musique, sa catharsis, son monde d’évasion et d’espoirs naissants.
Après son départ d’Iran en 2019, s’ensuit une période noire pour Soran: c’est le coeur amer qu’il quitte alors tous ses amis, ses élèves de l’université, ses amis architectes, sa famille et le monde de l’athlétisme: le plus difficile fut de quitter sa mère, aujourd'hui encore gravement malade. En disant au revoir à sa famille, il savait qu’il s'envolait alors pour un long périple, débutant par les routes sinueuses de la Turquie, puis les grandes forêts hostiles de Bulgarie, où il fut arrêté une première fois, près de la frontière serbe; il fut forcé de rester un mois entier en prison pour être entré illégalement dans le pays. Il fut ensuite relâché sans raison spécifique, et passa deux longues semaines à errer de nouveau dans la forêt; sur son chemin se trouvèrent de nombreux risques; il était en route vers un pays sûr, la Suisse. Après 3 ans de combat pour ses droits, il a pu finalement recevoir la résidence suisse fin 2022. La première année en Suisse fut pour lui une lutte pour l'intégration – affaiblit par ces émotions et évènements, il tomba gravement malade et fut hospitalisé. La Suisse voulu l’expulser vers la Bulgarie, mais c’est grâce à sa résilience et l’aide d’un avocat qu’il a pu finalement faire valoir ses droits en tant que réfugié politique et ainsi obtenir son permis.
Aujourd’hui, Soran travaille dur afin de retrouver ses passions et son travail d’antan: il étudie à l'Université de Genève, et a pu participer au programme intensif de cours de français Horizon Academy, afin de pouvoir passer sa licence de langue, et ainsi poursuivre son doctorat en architecture. Il souhaite développer son activité musicale et le coaching en athlétisme. Il souhaite optimiser ses chances de retrouver un emploi dans une agence d'architecture locale.
Soran pense toujours à ses élèves d’athlétisme et éprouve une immense fierté d'avoir coaché tous ces jeunes espoirs et champions, incluant des personnes handicapées mentales et physiques (incluant l’équipe de transplantation d’organes d’Iran) sur son temps libre.
Soran, tout à droite, et son équipe féminine d'athlétisme
Ces filles étaient championnes d'Iran, l’une d’entre elle était détentrice du record du 400 mètres haies en Iran, et faisaient toutes deux parties du championnat d'Asie.
C'est l'équipe de transplantation d'organes, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas de rein ou de greffe de moelle osseuse; ils ont participé et gagné des championnats nationaux et mondiaux. Voici quelques photos de ces souvenirs heureux, en attendant des jours meilleurs, Soran espère retrouver ceux qu’il appelait « sa vie ».
A très vite pour le prochain portrait venu d’Ukraine; celui de Marianna, une maman solaire et passionnée de montagne, venue accompagnée de son fils et arrivée en Suisse il y a 9 mois. Laetitia Lam
Bravo pour ce bel article qui nous fait prendre conscience de la grande difficulté du quotidien des demandeurs d’asile en suisse. Mais également du courage et de la détermination sans faille de ces personnes. Hâte de rencontrer Soran lors d’une prochaine activité Peaks et qu’il m’enseigne des techniques d’athlétisme :-).